Je n’ai pas vu passer l’automne. Ni l’hiver, ni le printemps. Les saisons ont filé. J’ai couru derrière.
J’ai fait des cartons, des dossiers, des plans sur la comète.
En avril, j’ai eu trente-six ans. J’ai déménagé dans un appartement à quelques pas de la place du Capitole. Quelques jours plus tard, j’ai glissé une bague qui brille à mon doigt.
Sur le chemin, j’ai oublié la peur. Je l’ai troqué pour la confiance, l’amour et la sérénité des beaux jours.
J’attends cet été depuis des mois. Depuis des années dans le fond. On est le 21 juin et j’ai l’impression qu’hier nous fêtions Noël. A la fenêtre, il neigeait encore.
Alors, voici les beaux jours. Voici le temps de l’amour et de ralentir.
Depuis des semaines, je range. J’organise. Je jette, je donne. J’ordonne. Je fais des dossiers. J’essaie d’apprivoiser mon bordel et mes incertitudes. L’idée me fait sourire quand je l’écris. Pour la première fois en dix ans, rien ne dépasse dans la bibliothèque. Ni dans la cuisine, ni dans les placards, ni même dans les dossiers de mon ordinateur.
Tout est propre, à sa place. Et même s’il est encore bien ancré à l’intérieur, mon joyeux bordel semble s’être évaporé quand je regarde mon appartement.
Les journées douces d’hiver, je coupe le chauffage. J’enfile un gros pull et j’ouvre les fenêtres. J’ai besoin de silence, d’espace et d’air. J’enlace ma solitude. Je vais marcher. Souvent seule, parfois avec Holly. Plus les saisons défilent, plus Holly préfère le canapé à nos longues balades. En automne, elle aura douze ans. J’observe le ciel bleu. Je respire. Je choisis les trottoirs au soleil. Je prends des photographies. J’écris à nouveau. J’écris les doutes, les peurs et mes incohérences. J’écris pour y mettre de la distance. J’écris pour calmer mes angoisses. J’écris pour tenter de retrouver mon souffle.
Ce n’était pas arrivé depuis des années. Je ressens le désir de conserver une trace de ces émotions passagères. De jouer avec. De les modeler, de les transcender. Je ne sais pas quelle forme cela prendra encore. Depuis le 1er janvier, je prends une photographie par jour. Je trouve cela fabuleux de retrouver le chemin et la connexion avec ma créativité. Avec cette pulsion, si singulière, de vie.
Je sens que je mue. Je sais que je suis en transition. Je vais bien. Et même si c’est parfois inconfortable, je crois que c’est ça finalement grandir et devenir adulte : sentir le poids des responsabilités et apprendre à y faire doucement face. S’entourer de douceur. S’organiser plutôt que de se laisser couler, plutôt que de faire l’éloge de la fuite.
Apprendre à nager, à flotter et à regarder avec calme l’horizon bleu.
Et puis, il y a eu le manque. Le manque d’extraordinaire, de soleil, de poésie. Sur un coup de tête, ou de cœur, faire son sac.
Fuir la routine et ses angoisses. Fuir le ciel gris qui semble peser sur les épaules. Fuir la petite voix à l’intérieur. Fuir le quotidien qui vous prend à la gorge, vous saisit et vous empêche de respirer. Fuir.
Fuir les questions sans réponse. Les laisser flotter, les oublier presque. Jeter des kilomètres avec la vie d’adulte. Avec ses responsabilités, ses devoirs et ses contraintes.
D’abord la mer, ensuite le ciel bleu. Après ; après, dis mon amour, on verra, d’accord ?
Louer un scooter, éteindre son téléphone. Savourer le soleil. Savourer l’été en hiver. Savourer la légèreté retrouvée. S’envelopper d’amour, de beauté et de lumière. Respirer, au milieu de l’hiver, à pleins poumons. Se nourrir de tendresse, du bruit des vagues et de churros.
Ce samedi matin, au lever de soleil, lundi semblait si loin.
J’aime. Créer. Réserver un vol pour un pays, encore, inconnu. Écrire. Imaginer. Photographier. Observer le jour qui se lève et sa lumière bleutée.
L’instant où l’avion décolle. Et puis, la vue par le hublot. La mélodie d’un piano, la beauté d’une rencontre, la douceur d’une pluie d’été. Le bruit de pas sur le parquet. Le silence. La justesse d’un roman.
Je crois en la beauté de la vie. Je crois en l’amour. Je crois en la douceur. Je crois en l'humain. Je crois que les rêves sont faits pour être réalisés.