Et à nouveau, y voir
J’ai toujours un pincement au cœur à l’idée que la lutte est finie, que maintenant je devrais toujours les porter.
Aujourd’hui, lorsque je les retire, mes yeux se reposent. Ils ne se battent plus. Les lettres et les visages restent flous. A cinq ans, le verdict était tombé. Mes yeux étaient déjà fatigués. La guerre, déclarée. Les lunettes, je les cachais au fond de mon cartable. Je rusais pour ne pas avoir ce bidule bizarre et trop lourd sur mon nez. Au collège et jusqu’au lycée, mes yeux étaient tant bien que mal parvenus à se réparer. J’avais dans mon sac des lunettes de confort. Au fil des années, ma vue a de nouveau dégringolé. Le Master, les journées rivées face à un écran et la fatigue ont mordillé mon regard.
En mars, je me suis résignée. Cela faisait des années que je repoussais ce jour où je devrais voir un ophtalmologiste. Je m’étais habituée à y voir flou, en arrondi. J’étais de celles qui ne reconnaissent pas les gens qu’elles croisent dans la rue, qui mettent deux minutes de plus pour retrouver la table de ses amis dans un bar et qui disent qu’elles n’ont rien vu quand cela les arrange. Je vivais dans un monde fait de courbes et d’impressions, un rempart vaporeux face au monde. Cela ressemblait à un tableau impressionniste. Et, c’était plutôt joli et douillet.
Les migraines et mes trajets nocturnes ont eu raison de moi. En mars, j’allais voir un ophtalmologiste. Quelques jours plus tard, on me tendait une jolie paire de lunettes. Au départ, c’était étrange. Cela me donnait le tournis et, quand je les portais, j’avais la sensation d’être pompette. Dans le miroir, j’avais l’impression de me découvrir. Plus carrée, plus nette. Il y avait tout un monde à apprendre.
J’ai de plus en plus de mal à vivre sans. Elles me suivent partout. Lorsque je ne les porte pas, je me sens plus fragile. Elles me manquent. Parfois, je lutte. Je les retire durant quelques heures. Puis, toujours, je capitule.
Alors, voilà, je suis une fille à lunettes. Et vous ?






