Sac sur le dos, j’ai toujours trouvé que l’écriture de voyage, en voyage, portait en elle un goût particulier : écrire sur la route, écrire entre le point de départ et l’arrivée, écrire l’entre deux, écrire le quotidien éphémère et bancal, écrire et ouvrir les yeux. C’est à ce moment précis que l’imaginaire semble, doucement, se mettre en éveil.
J’ai écrit durant des dizaines de vols longs courriers. Dans des trains, des voitures, des parcs, des hôtels. Face à la mer et à la montagne. Dans le brouhaha des villes et, loin de tout, au milieu du désert. J’ai écrit l’imagination dévorante d’un pays encore inconnu et le rêve d’un quotidien à fabriquer. J’ai écrit le voyage avant d’atterrir sur le tarmac. J’ai écrit l’attente et les émotions brutes. J’ai écrit les départs et les séparations. J’ai écrit comme on se fabrique des repères temporaires. J’ai écrit des mots doudous et des peurs inexpliquées. J’ai écrit pour me rappeler, pour essayer de comprendre, pour me rassurer.
J’ai écrit dans des carnets, sur mon téléphone et mon ordinateur. J’ai écrit sur des tickets des caisse et des billets d’avion. J’ai écrit la fatigue, le manque et la joie. J’ai écrit les tremblements et les frissons de la découverte. J’ai écrit à la terrasse d’un café et entre deux avions. L’écriture m’a toujours semblé être un moyen de prendre de la hauteur, de mettre de la distance entre le réel et mon ressenti. C’est un jeu qui met en éveil la mémoire et les émotions. J’écris comme d’autres font des albums photos. Je cherche le mot juste. Je façonne le réel.
Au delà d’être un processus créatif, l’écriture m’apparaît comme un processus de mémoire.
J’écris du camion multicolore qui nous amène au départ de notre trek. Des petites routes sinueuses jusqu’à la vallée vallée d’Aït Bouguemez. De cette vallée heureuse où l’on partira pour quatre jours de marche dans l’Atlas. Sur la route, on croise quelques villages ocres et des hommes sur des mules. On vient de descendre du pickup et de traverser le marché de Tabant. Ici, on a croisé un arracheur de dents, chef du village, et une dizaine de personnes attendant son tour pour s’alléger et se libérer de la douleur.
Comme souvent, j’ai été frappée par ma chance : ma chance de me plaindre de mes dents fragiles tout en ayant la solution à quelques pas de mon appartement, la chance de pouvoir payer des soins dentaires même si c’est cher, même si c’est ennuyeux et, parfois douloureux. Ce qui semble acquis ne l’est pas de l’autre côté de la méditerranée.
Et même si je le sais, si je l’ai appris à l’école et dans des livres, si j’ai conscience de cette pauvreté ; se retrouver, tout à coup, au milieu du marché, face à ses personnes qui sourient malgré tout, vous saisit et vous ouvre les yeux.
C’est une des choses qui me fascine le plus avec la vie d’adulte : cette capacité constante à grandir et à aller au delà de mes limites. A aller aussi à la rencontre de l’inconnu. O oser et à élargir ma compréhension du monde. En grandissant, je me rends compte que je ne suis pas – juste – la petite fille timide et peureuse que j’ai longtemps pensé être. Voyager me permet, à chaque fois, d’écrire une nouvelle page.
Hier, avant d’enjamber un fossé qui me semblait bien trop large pour mes petites jambes, Saïd m’a affirmée que mon corps était plus fort que je ne le pensais. Il a ajouté que j’avais le temps et de le prendre. J’ai levé la tête. J’ai respiré et j’ai sauté par dessus l’eau et le vide. J’ai atterri sur mes deux jambes. Je ne suis pas tombée – ni morte.
Mon corps est fort. Le monde est plus vaste et riche que je ne peux l’imaginer. C’est pour ça que je voyage. Je change les cartes. Je les redistribue et je sors des cases. J’apprends, chaque jour, à gommer mes pensées limitantes et à découvrir ma force intérieure. J’apprends, en parallèle, la force infinie du corps.
Je suis partie, seule, un mois au Chili. J’ai marché, plusieurs jours, dans le désert marocain et au milieu de la jungle en thaïlandaise. J’ai nagé dans la mer en Guyane au milieu de caïmans. J’ai conduit dans des routes sinueuses et sur des chemins de terre. Je me suis perdue dans des villes inconnues et dont j’ignorais tout de la langue. J’ai partagé un repas, des anecdotes, un sourire avec des inconnus. Souvent, j’ai tremblé. Parfois, j’ai eu peur. A l’arrivée, j’ai toujours été fière de moi et de la personne que j’étais devenue : libre, autonome, curieuse et enthousiaste du monde qui l’entoure.
Je voyage pour comprendre le monde et sa richesse. J’écris pour pour me souvenir, pour m’approprier cet univers-là, pour éveiller ma créativité.
Et, qu’est qu’elle est belle cette vie-là.
Pour en savoir plus, vous pouvez consulter le site de l’écolodge dans le haut-Atlas.