Un trek dans les gorges du M’goun


 

Lorsqu’on on est arrivés au point de départ du trek, quatre mules et leur veilleur nous attendaient déjà à Azilal.

Les veilleurs étaient partis la veille, à l’aube, de Touda. Ils avaient traversé la vallée d’Ait Bougmez et l’Atlas pour nous accompagner. Si l’idée de ne pas tout avoir à porter durant cinq jours rassurait mon corps, celle de savoir que des mules et des hommes seraient là pour veiller sur nous et rendre notre trek plus confortable me bousculait. Les mules porteraient les tentes et la nourriture. Les garçons prépareraient le campement et s’occuperaient des repas.

Après quelques heures de marche, on a déjeuné dans l’herbe au bord du M’Goun. C’est ce fleuve que l’on descendra durant cinq jours et qui ne cessera de nous émerveiller. Un tapis déposé au bord de l’eau, le déjeuner était déjà prêt : une salade de tomate, des olives, du thon et du pain frais. Un thé à la menthe et une pastèque partagée en dessert. Cela sentait bon l’été et le goût des choses à la fois simples et précieuses.

Vers quinze heures, on a repris la marche. Le soleil était haut et les paysages semblaient tout droit sortis d’un conte oriental. Je me souviendrai longtemps de ce tout premier village croisé et de cette maison sombre où une vingtaine d’enfants serrés récitaient le Coran. Je me rappellerai du regard du professeur et des grands yeux des enfants qui nous observaient à leur tour. Je ne sais pas qui observait vraiment l’autre. Je ne sais pas mais je sais mes frissons et mon émotion à cet instant-là.

 
 



 

On a poursuivi la route. On a longé le M’Goun. On a mis les pieds dans l’eau. On a répété que l’eau était glacée et puis on a oublié la température de l’eau. Plus tard, on a pris de la hauteur et on a rejoint les terres. On a croisé des villages ocres et champs verts. Des maisons spartiates et des routes faites de terre. Des intérieurs vides et des boutiques fermées.

On a croisé des femmes travaillant au champ et des dizaines d’enfants nous demandant une pièce ou un stylo comme l’on répèterait une comptine. Des villages sans électricité ni eau courante. Des enfants avec des vêtements parfois trop petits, souvent trop grands et aux cheveux emmêlés. Des bergers avec leurs moutons et des hommes qui nous observaient.

Alors, doucement, j’ai respiré et j’ai apprivoisé le silence. J’ai oublié mon confort et mes urgences. J’ai ouvert les yeux. Ici, tout me semblait me rappeler l’importance de ralentir et de revenir à l’essentiel.

Vers dix-huit heures, peut-être dix neuf, on a commencé à chercher un lieu pour passer la nuit. On avait cette liberté de pouvoir choisir l’endroit où l’on poserait nos affaires et cela nous semblait, à ce moment-là, l’essentiel. On a monté le bivouac, avec l’accord du chef du village, à quelques mètres du fleuve.

Tout à coup, des enfants qui semblaient sortir de nulle part, nous entouraient. Ils nous observaient comme on regarde un animal inconnu pour la première fois. Par défi, on soutenait parfois leur regard. Par contagion, on riait ensemble. Un monde semblait, brusquement, se tisser entre nous.

 

 


 

Les jours ont suivi, j’ai marché. Je n’ai pas compté les kilomètres. J’ai marché sur la terre, sur des cailloux, dans l’eau. Je suis tombée. Je me suis écorchée le genou en pensant que je porterai le souvenir de Touda à même la peau, que ce voyage m’aura d’une certaine façon marquée.

J’ai continué de marcher avec ce genou rouge et qui me rappelait, à chaque pas, que le corps n’est pas une machine et qu’il faut en prendre soin, le veiller en quelque sorte. Alors, à nouveau, j’ai ralenti et j’ai respiré. J’ai arrête de courir après ce je-ne-sais-quoi qui me tord le ventre parfois la nuit. Lentement, je me suis retrouvée. Un soir, j’ai dormi dans un champ au bord de l’eau, à la lisière d’un village, et je me suis promis cette nuit-là de ne plus jamais laisser l’angoisse m’envahir. Au réveil, je me suis immergée dans l’eau glacée de la rivière. J’ai laissé l’eau couler sur mes cuisses sur mon ventre dans mes cheveux. Le lendemain, j’ai observé les étoiles. J’ai confiné dans le moleskine à la lueur de la lampe ces mots-là.

Au fil des jours, j’ai essayé de comprendre les coutumes et la vie d’ici. Je me suis tue quand Saïd parlait des hommes et des femmes, des traditions et de cette complémentarité qui me semblait si éloignée de ma vision du monde. Du pouvoir des hommes, et des femmes comme clef de voûte de la famille.

J’ai compris, entre les lignes, que ce monde-là était si différent du mien que j’aurais, je crois, toujours un peu de mal à l’appréhender même avec la meilleure volonté du monde. J’ai compris, aussi, ma chance de découvrir cette culture de si près et à travers les yeux de Saïd et des veilleurs.


 

Une après-midi, les garçons ont acheté des œufs au chef du village, et ont donné de la farine pour faire du pain à une femme contre quelques dirhams. Plus tard, une jeune maman est venue à notre rencontre et nous a demandé de l’aide. Son bébé, âgé de quelques semaines était couvert de boutons. A travers son regard, on ressentait sa peur. Alors, on a écouté, on a pansé avec nos mots. On ne savait pas, on a fait pour le mieux.
Ce sont dans ces détails et échanges minuscules que j’ai entrevu la vie ailleurs, la vie simple et brute des gens d’ici. La vie où l’électricité et l’école sont un luxe et où les rituels et coutumes semblent des marqueurs sociaux rassurants.

J’ai perçu cette vie différente sans vraiment la comprendre ni savoir comment la transmettre et ce qui resterait de ces journées de marche quand je rentrerai en France. Alors, au fil des jours, j’ai commencé à poser des dizaines de questions à Saïd. Je voulais savoir, je voulais essayer de comprendre. J’aurais aimé, peut-être aussi et sans trop savoir comment, aider ce peuple berbère et lui tendre la main sans vraiment savoir, non plus, si cette main tendue avait sa place. Si c’était maladroit et déplacé. J’ai serré cette question-là sans trouver de réponse.

Un soir, quand les hommes du village se sont mis à chanter et danser, j’ai eu le cœur serré : serré de voir leur joie de vivre, leur émotion et de comprendre, aussi en filigrane, qu’ils n’ont, bien sûr, attendu personne pour être heureux.
Serré aussi de comprendre qu’ils faisaient partie intégrante de la magie de ce trek et que c’était grâce à eux, grâce à leur joie de vivre, grâce aux anecdotes rapportées sur les villages et les hommes croisés, grâce aux plats traditionnels préparés ; que j’avais pu entrevoir et pénétrer – un tout petit peu – dans cet ailleurs-là.


 

Le voyage a été organisé par Touda, et orchestré par Saïd. Le voyage revient à environ 450 euros la semaine par personne est comprend la pension complète, le trek – dont je vais vous parler dans les prochains articles -, les nuits à Marrakech et le transfert Marrakech – Touda.
Pour en savoir plus, vous pouvez consulter le site de l’écolodge dans le haut-Atlas.

 

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C'est promis

Vos commentaires
sont des petites douceurs
Mille mercis à vous

  1. Marie Kléber

    Je me souviens comment le Maroc m’avait pris aux tripes, la trace que ce voyage a laissé en moi. Je retrouve tout ça dans tes mots May.
    Merci

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    • J’adore le Maroc. Cela fait peut-être dix fois que j’y vais et chaque fois, j’en ressort un peu émerveillée, marquée, tourneboulée. J’aime la culture, les paysages marocains, la nourriture. Tout me semble être fait pour s’y sentir drôlement bien.
      La découverte du haut-atlas, et de la culture berbère, fut une très belle découverte.

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  2. Très beaux paysages… on sent bien à travers tes mots qu’il y a quelque chose de particulier qui flotte dans l’air de ce pays ! J’adore la photo de l’enfant jouant, elle est pleine de vie et de sincérité je trouve :)

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    • Oui, j’ai la chance de beaucoup voyager et ce voyage restera un voyage différent, qui m’aura vraiment marquée. Je crois que l’on recherche tous l’authenticité, le partage et la rencontre avec les gens qui y vivent. Et pourtant, je me rends compte comme c’est compliqué et comme l’on passe la plupart du temps à coté. J’ai vraiment eu l’impression de rencontrer un peuple, une culture et une belle région du Maroc.
      Et ce fut très touchant et intense (et je voudrais y retourner un peu plus longtemps !).

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  3. * * * :)

    Un article sincère et émouvant qui montre les différences entre nos cultures et la difficulté à s’adapter sans blesser l’Autre. Une petite pépite…

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  4. Tes mots en voyage sont toujours magiques, pleins d’une pudeur dont toi seule à le secret. C’est si doux et fort à lire.

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