Je me sens minuscule.
Minusculement petite. Une petite brindille qui s’efforce de devenir un peu grande. Si vous saviez comme c’est dur de vouloir être celle qu’on ne sera jamais dans les yeux des autres. Si vous saviez. Je suis la minuscule. Celle a qui ont n’attache jamais vraiment d’importance. Celle qui est moins que. Moins jolie. Moins intelligente. Moins brillante que. Je suis la minuscule. La petite chose dans le coin de la pièce pour laquelle on ne porte aucun intérêt, aucun regard. Une ombre, une presque rien. Une brindille qu’on ne remarque pas, un reflet dans un miroir. Un petit truc terne et discret. Je suis la minuscule. Celle qui ne réussira jamais aux yeux des gens qu’elle aime. Celle qui n’arrivera jamais à les impressionner, à briller dans leurs pupilles. Et même si, j’essaie. Et même si je tombe en grimpant. Ce n’est rien, ou presque. Les écorchures sur les genoux ne se remarquent pas. Si je réussis, c’est normal. Si je rate, ce n’est pas grave après tout. Aux yeux de tous, je suis la minuscule. Quand je parle de travail, on me parle de divertissement. Quand j’évoque le désir de travailler, on me reprend. On sourit. Quand je dis faire mes études par passion, que je me battrais. On murmure un passe temps. On me rappelle qu’il n’y a pas de travail à la sortie. Oui, mais je me battrais. On sourit, toujours en se glorifiant au passage. Dans leurs écoles à eux, il ont des moyens pour financer le chauffage, des écrans géants pour afficher les emplois du temps, et du boulot en plus à la fin. Mon sourire se tord. On ne me comprends pas. On ne m’écoute pas. Si je hausse un peu la voix, on évoque la jalousie. – Un bac + 3? – Le français, voyons, cela sert à rien. Les sciences, le droit, l’économie, ça se sont des matières, des vraies. – Une double licence? Lettres et Philosophie? – C’est quoi ça, c’est une matière? Cela ne doit pas être bien compliqué… Ah oui, je vois, on enseigne ça dans les facs qui sont toujours en grève. Oui, c’est ça, non? J’ai vu ça sur TF1 l’autre soir. Là où les étudiants veulent qu’on leur donne leurs diplômes.
Quand je dis que je veux vivre, que je veux mordre la vie, que je ne ferais jamais passer l’argent au dessus de tout. Que la réflexion et l’art peuvent bien sauver des vies. Que se sont des fils conducteurs au bonheur. On me regarde de haut, on me dit que je ne comprends rien. Que je suis petite, la minuscule. Je suis celle qui ne comprendra jamais. Je suis trop petite, une parenthèse de vie. Celle qui aura beau se tordre à s’effondrer et qui ne sera jamais jolie à travers leurs yeux et leurs yeux ce sont les yeux du monde entier. Celle qui pourrait bien faire tout et rien à la fois, cela ne changerait rien. Elle pourrait bien se tuer à petit feu, personne ne remarquerait qu’elle est entrain de se cogner partout, se bruler vive. Pour eux, je resterai un petit vent, un arc-en-ciel après la pluie, une cicatrice dans leur quotidien. Juste un petit divertissement dans une vie bien rangée.
