Nicolas Mathieu

« Ecoute-moi. Demain, nous serons vieux et lents. Il y aura tes enfants et tes dossiers, tes lessives et les gens au bout du fil, des lois et des embouteillages, le brouhaha du diner et le trop plein de tes journées. Demain, tu seras loin et chacun dans notre coin, nous devrons faire bonne figure.

Demain, il faudra à nouveau respirer, gagner de l’argent et remplir le frigo, aller chercher les petits à l’école et lire des journaux, rire encore et vieillir aussi, peu à peu, inévitablement. Ce métier de vivre, nous le ferons du mieux possible, toi et moi, l’un sans l’autre et le temps sera toujours plus épais entre nous. Et nous finirons par ne plus savoir ce que fait l’autre, où il se trouve et s’il pense à nous.

Ne dis rien. Écoute-moi. Nous existerons malgré cela, la distance et puis l’oubli. Ce sort-là, nous allons le connaître et il ne nous fera même pas si mal, c’est encore le pire. Mais tu dois savoir qu’aujourd’hui, à cette terrasse et dans le gris, je t’ai trouvée belle à crever. J’ai pris mon temps et je t’ai regardée comme une dernière fois. J’ai pris tes rides, le trait noir au coin de l’œil, ta peau, le grain de beauté dans ton cou, un cheveux blanc, ta bouche rose et moelleuse comme du bubble-gum, les ongles cassés, la bague en argent, la paille avec laquelle tu t’es nettoyée les dents. J’ai tout regardé avec une patience de bête.

J’ai tout écrit dans mon ventre qui me faisait mal et cette minute-là, demain ne pourra rien contre elle. Je ne te ferai pas cet aveu ridicule, ces trois mots qu’on se dit tard, au lit et dans le noir. Tu ne l’as pas su et un jour nous serons vieux et lents, et bientôt morts. Mais cet instant-là fut le nôtre. Tu trouvais mon regard stupide et fixe. Je faisais provision de toi. Je t’emportais en détail. Je goûtais cette plaie qui est de te savoir perdue d’avance. »