Les îles du Salut, Guyane


 

C’était jeudi, ou peut-être vendredi. On avait passé la nuit dans la jungle guyanaise et on arrivait à Kourou. Le jour se levait et je me glissais sur le voilier en laissant le commandant mettre les voiles vers les îles du Salut.

Il y avait déjà un soleil immense et je retrouvais doucement les sensations de la mer. On aurait dit le paradis. A mesure que l’on naviguait, je sentais mon corps se laissait emporter par le rythme de la mer et l’air iodé. A mesure que l’on s’approchait de l’ile Royale, l’eau devenait plus bleue. Plus transparente et turquoise.

Au fil de la navigation, j’écoutais les explications et l’histoire des îles. Je construisais le puzzle mental de l’Histoire, de notre histoire. J’entendais les milliers de déportés, les poignées de morts jetés à la mer chaque semaine. J’entendais l’horreur et la souffrance. Je reliais mes connaissances bancales entre elles et je sentais mon estomac se nouer. Ce n’était pas la mer agitée. C’était les bagnes.

On aurait dit l’enfer au paradis.

 

 


 

Je me souviendrai de cette journée, comme d’une journée en contraste. Comme une journée qui aura élargi ma carte mentale, qui aura augmenté, d’une certaine façon, ma compréhension du monde.

Je me souviendrai de Serge, sourire aux lèvres, qui nous attendait au petit matin à bord du voilier ; Serge qui aura partagé, avec beaucoup de patience et de passion, avec nous, l’histoire des îles du Salut et de la Guyane. De ces explications sur les conditions des détenus et sur notre devoir commun de pas oublier.

Je me souviendrai de la visite des bagnes, le coeur serré, et de mon oreille attentive. De la visite des dortoirs que personne ne semble vraiment préserver du temps. Du peu de moyen pour mettre en valeur cette partie de l’histoire. De la lampe pour découvrir les dessins gravés des condamnés comme autant de bouteilles à la mer.

De la mer, justement, à l’horizon et de ce bleu profond. Des tortues, des singes, des agoutis, des paons croisés. De ce musée sur l’histoire des bagnes à l’abandon au coeur de l’île. De la végétation luxuriante qui a repris sa place depuis la fermeture des bagnes en 1954. Et de cette pensée obsédante que 1954, c’était hier. Que c’était hier, et que cela ne devrait jamais être demain à nouveau.

De la vue incroyable sur l’ile avant de rejoindre le restaurant et du silence qui a suivi. De la baignade, dans l’après-midi, de ma peau qui se caramélise au fil des heures et des verres de planteur partagés. De la musique qui fait dodeliner la tête, qui fait sourire et qui sent bon la légèreté ; de la musique comme  étendard, pour dire que oui, les beaux jours sont devant nous.

 

 


 

Je me souviendrai de la visite des iles du Salut comme un lieu à part, comme un lieu que l’on ne saurait classer à la fois pour sa beauté parfaite et pour ses horreurs que l’on aurait aimé n’avoir jamais à connaitre.

Comme un lieu particulier qui marque, qui vous fait chavirer et qui vous colle, durant des jours, au corps.

 

 

 

 

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C'est promis

Vos commentaires
sont des petites douceurs
Mille mercis à vous

  1. Je découvre ton blog par cet article qui m’a totalement emporté ! J’aime ta plume et ton univers. Une chose est sûre, c’était ma première visite sur ce blog mais surement pas la dernière !

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    • Merci beaucoup Chloé ! Ca fait tout chaud au coeur, vraiment… et bienvenue par ici ! :-)))

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  2. Tes mots… Les îles du Salut font partie de mes souvenirs les plus forts de Guyane, le paradis et l’enfer, comment y être insensible et oublier ? Impossible.

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    • Merci. <3
      C'est dingue comme un endroit peut mêler la beauté et l'horreur. Je crois que c'est un des lieux les plus troublants que j'ai pu visiter (et deux/trois semaines après, j'y pense encore souvent...).

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